mardi 7 octobre 2025

Le prix et la valeur

Il y a dans l’histoire économique une tension fondamentale, presque invisible aujourd’hui tant elle est devenue naturelle : celle qui oppose la valeur au prix.
Nous avons pris l’habitude de confondre les deux, comme si le prix affiché disait tout d’un bien ou d’un service. Pourtant, dès qu’on gratte un peu, on découvre que le prix n’est souvent qu’une convention mouvante, tandis que la valeur relève d’une reconnaissance humaine, d’un équilibre entre les parties, ou d’un ancrage dans le réel.

Cette tension, on la retrouvait déjà dans les livres comptables d’autrefois, dans le troc sophistiqué, dans les échanges directs ; on la retrouve aujourd’hui sous des formes différentes, parfois grotesques, où le marketing fabrique des prix extravagants sans substance. Entre ces deux mondes — l’ancien et le contemporain — s’est glissée une transformation silencieuse : le passage du tangible à l’abstrait, du contrat entre deux volontés à la médiation permanente d’intermédiaires qui « grattent » au passage.


Des échanges concrets et pluriels...

Feuilleter un vieux livre comptable du XVIIIᵉ ou XIXᵉ siècle, c’est plonger dans une autre logique économique.

On y voit défiler des écritures patientes :

« Untel nous doit tant et tant… réglé en partie en liquide, en partie en traite, en partie en pièces d’argent ou d’or… et contrepartie en marchandises ou propriété. »

Ces registres révélaient une économie à plusieurs étages de valeur, où l’argent liquide n’était qu’un outil parmi d’autres. Les dettes pouvaient être réglées en sacs de grain, en biens meubles, en terres, en services, ou en pièces métalliques. Ce n’était pas du troc brut, mais un troc affiné, structuré, négocié. La valeur était discutée, pesée, souvent en silence, parfois longuement. Le moment de l’échange avait une densité presque rituelle.

Même dans des contextes aussi bruts que le poker — une dette équivalente à la valeur d’une voiture entraînait la perte de la voiture — la règle restait claire : valeur convenue, transfert immédiat, brutalité honnête. Personne ne pouvait se cacher derrière un PDF de 30 pages de conditions générales.
Le gagnant prenait, le perdant cédait. C’était simple, lisible, et souvent plus équilibré qu’on ne le croit.


... au glissement vers l'abstraction 

À mesure que les économies se sont complexifiées, nous avons peu à peu remplacé cette pluralité d’outils d’échange par une unité abstraite unique : le prix monétaire.
Les négociations se sont standardisées, les transactions se sont dématérialisées, et surtout — des intermédiaires se sont glissés entre les parties : banques, plateformes, assureurs, États, prestataires, chacun prélevant sa part du butin.

Dans ce nouveau monde, celui qui « a la main haute » — par sa position, son pouvoir ou son contrôle de l’information — impose souvent sa propre définition du prix. La réciprocité de valeur disparaît au profit de la domination commerciale. Et comme la plupart des transactions passent désormais par des clics, des applications ou des contrats standardisés, le moment de négociation réel a presque disparu.
Ce n’est plus un échange entre deux consciences, c’est une interaction avec une machine tarifaire.


Pour comprendre cette dissociation entre prix et valeur, rien ne vaut quelques exemples concrets.


i - Pièces d'argent 

Les pièces d’une once troy d’argent .999, frappées par des instances autorisées. Environ 40 € de valeur métallique, plus environ une dizaine d'euros de prime pour la fabrication et la distribution.

Le prix est clair, la valeur est tangible. On peut les tenir dans ta main. Elles ont une liquidité réelle, reconnues internationalement. Elles incarnent une forme de valeur « stable », sans intermédiaire permanent.


ii - Katanas personnalisés

Ils ne sont certes pas des nihontō historiques. Leur valeur « de marché » est sans doute bien inférieure à celle d’une pièce authentique, d’autant qu’une gravure laser personnalisée par exemple peut rebuter les collectionneurs.

Mais ils incarnent une valeur personnelle et esthétique, choisie délibérément. Et en cas de vente forcée, il y a une valeur plancher, fixée par le propriétaire, qui peut refuser de « brader son histoire ».


iii - Bugatti Atlantic de Ralph Lauren

Une des voitures les plus mythiques au monde, des années 1930.

Sa valeur actuelle est estimée autour de 40 millions de dollars, avec un potentiel allant jusqu’à 100 millions selon certains experts.

Ici, le prix paraît délirant… mais la valeur est unique : il n’existe que quelques exemplaires, véritables chefs-d’œuvre mécaniques. Le prix, aussi astronomique soit-il, ne traduit qu’imparfaitement une valeur culturelle, historique et matérielle inestimable.


La valeur... subatomique ?!

Un des points qui m’a le plus frappé en observant les pratiques contemporaines, notamment sur les marchés des métaux précieux, c’est cette tendance des vendeurs à ne pas livrer la marchandise.
On achète une pièce d’argent, mais elle reste dans « leurs coffres », moyennant des frais annuels. Tu es propriétaire, mais tu ne la vois jamais. Elle est « chez toi » sur le papier… mais physiquement ailleurs.

C’est une situation presque quantique : ta pièce est à la fois partout et nulle part.
Cette logique transforme l’achat en une forme de délégation involontaire, où la valeur est détenue par un tiers, et où tu dois payer pour y accéder. On est loin de la clarté des échanges anciens où la pièce passait réellement de main en main.


La valeur via la « marketing story »

À l’autre extrémité du spectre, on observe aujourd’hui des prix prohibitifs pour des biens dont la valeur intrinsèque est quasi nulle :


- Sneakers « rares » vendues des milliers d’euros sur la base d’une hype passagère.

- Produits de luxe industriels déguisés en objets d’exception.

- NFT ou objets numériques valant des fortunes un jour, puis plus rien le lendemain.

- Cartes  bancaires premium, dont le prestige facturé repose sur du vide.

Dans ces cas, le prix n’est pas une mesure de valeur : c’est un outil de positionnement social ou une fiction marketing habile. Sans le récit, tout s’effondre.


Plaidoyer pour une nouvelle lucidité 

Dans le fond, cette distinction entre valeur et prix n’a rien d’anecdotique : elle conditionne notre façon de vivre, d’échanger, d’épargner, d’investir.

Nos ancêtres jonglaient avec plusieurs formes de valeur ; nous avons remis notre discernement à des systèmes standardisés. Le résultat ? Des prix qui s’envolent sans valeur… et des valeurs réelles souvent négligées.

Reprendre conscience de cette différence, c’est reprendre un peu de souveraineté dans nos choix économiques.

C’est refuser que la valeur de nos biens, de notre temps ou de notre patrimoine soit dictée uniquement par des grilles tarifaires et des intermédiaires gourmands.

C’est, peut-être, renouer avec cette honnêteté brutale mais claire des échanges d’autrefois — où la pièce passait de main en main, et où chacun savait exactement ce qu’il donnait et ce qu’il recevait.

La valeur n’est pas toujours là où le prix l’indique.

Et c’est précisément là que se loge notre liberté de jugement.


Arashi Wanderer Ryō 

(Hōrō-Sha)


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lundi 6 octobre 2025

Les ressorts du pouvoir et de la compétence

Le pouvoir adore se donner des airs solides.
Il parle d’« efficacité », de « mérite », de « responsabilité ». Mais dès qu’on gratte un peu le vernis, on découvre un petit jeu plus primitif : celui du totem d’immunité.
Un objet invisible, sacré, que les hiérarchies s’échangent en silence. Tant que vous tenez le totem, vous êtes intouchable. Vous pouvez tout rater, tout saboter, tout nier : la pierre vous protège.

C’est la religion moderne des institutions : le culte de la protection mutuelle.
On y prie pour sa tranquillité, on s’encense entre initiés, et surtout, on excommunie le blasphémateur — celui qui dit que le roi est nu.
Dans ce temple, la compétence n’est plus un critère, c’est une menace. Le talent fait peur ; la lucidité dérange ; la vérité, elle, brûle les doigts.

Alors s’installe un darwinisme inversé, une sélection des dociles.
Les prudents survivent, les audacieux disparaissent.
On appelle ça « gestion.», mais c’est de la conservation d’espèces en voie d’extinction morale.
Les plus aptes finissent par se taire, ou par partir. Ceux qui restent deviennent gardiens du totem — fiers, protégés, mais vides.

Anton Szandor LaVey aurait souri de tout ça.
Il aurait vu, derrière la façade institutionnelle, une belle mascarade : le pouvoir qui prétend dominer le monde, mais qui n’ose même plus se regarder dans un miroir sans costume.
Il aurait dit : « Les faibles ne sont pas ceux qui échouent, mais ceux qui craignent la vérité. »
Et il aurait ajouté, d’un ton moqueur : « Rien n’est plus diabolique qu’un esprit libre dans une salle pleine de totems. »

Le pouvoir croit se renforcer en s’immunisant.
Mais chaque totem le rend un peu plus aveugle, un peu plus creux, un peu plus mort.
Jusqu’au jour où plus personne ne croit à la magie.
Et ce jour-là, la pierre éclate — non pas sous un coup de marteau, mais sous le rire sec de ceux qu’on n’a pas pu acheter.

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-Sha)

samedi 4 octobre 2025

L'éthique de la lame : pourquoi ?

Quand le monde perd le fil, le sage ne cherche pas une corde.
Il aiguise sa lame.

Non pas pour tuer, mais pour voir.
La lame est ce qui sépare le vrai du confus, le geste du discours.
Elle n’a pas de morale, seulement une intention claire : trancher le tissu des illusions.
Et notre époque en tisse beaucoup.

Nous vivons un temps où le « sens collectif » s’est dissous dans le bruit.
Les voix publiques ne chantent plus à l’unisson ; elles crient pour couvrir le silence.
Les grandes causes succèdent aux grandes causes, comme des marées montantes sans océan.
L’individu se noie, la foule flotte.

Mais avant de pleurer ce vide, il faut se demander :
que valait ce sens collectif ?
N’était-il pas déjà un mirage ?
Un contrat moral signé à l’encre de la peur et de la conformité ?

La décomposition du sens collectif
Autrefois, les peuples partageaient des mythes ;
aujourd’hui, ils partagent des mots-clés.
Les dieux sont morts, remplacés par les algorithmes ;
le sacré s’est réfugié dans les slogans.

La politique s’est faite religion de substitution.
Ses prêtres en costume prêchent la santé de l’âme numérique,
blâment les écrans comme on blâmait jadis le Fiable.
Ils parlent d’éducation, de culture, de morale commune —
mais c’est un sermon adressé à des statues.

Leur ton n’est plus celui du chef d’État, mais celui du prédicateur en chaire :
« Regardez le mal, il est en vous ; repentez-vous, revenez à la raison. »
Et le peuple, fatigué, baisse la tête ou ricane.
Car il sait que, derrière la morale, la machine continue de broyer.
Broyer des vies, broyer du temps, broyer du sens.

Ce divorce entre le discours et le réel, c’est la fracture même de notre ère.
Le pouvoir parle de « cohésion »,
mais n’offre que des procédures.
La société parle de « solidarité »,
mais vit dans la compétition intégrale.
Le lien social est devenu un produit à flux tendu.

Le vide : malédiction ou chance ?
À ce stade, la plupart s’effraient.
Ils cherchent un nouveau dogme, un drapeau de rechange.
Ils veulent « reconstruire le collectif ».
Mais le Sataniste, lui, se tait — et regarde le vide comme une aube.

Ce que les autres nomment perte, il appelle délivrance.
Car quand le sens s’effondre,
ceux qui vivaient d’emprunt tombent les premiers.
Le vide est une épreuve : il ne rend libres que ceux qui savent se tenir debout.

Là où les autres voient l’absence de repères, je vois l’absence de chaînes.

Le sataniste ne cherche pas de sauveur collectif.
Il forge son propre code, sa propre éthique, son propre rythme.
Il ne se soumet ni à l’anarchie molle, ni à l’ordre rigide.
Il taille sa voie dans le monde comme on sculpte une pierre noire.


Le Sataniste face au néant
Dans The Satanic Bible, Anton LaVey écrivait que Satan représente la responsabilité envers le responsable.
Pas la fuite dans le mystère, pas la soumission à l’invisible,
mais la pleine conscience de soi comme centre de gravité.

C’est là que réside l’éthique de la lame :
la décision lucide, assumée, sans témoin.
Celui qui manie cette lame intérieure sait qu’elle ne doit pas servir à juger,
mais à clarifier.

Il ne condamne pas la foule ; il constate simplement sa dispersion.
Il ne se croit pas supérieur ; il sait seulement ce qu’il ne veut plus confondre.
Et dans ce refus de la confusion, il trouve sa liberté.

Les Neuf Énoncés de LaVey ne sont pas des dogmes ;
ils sont des miroirs.
Ils rappellent que l’homme, loin d’être un animal déchu,
est un animal lucide, capable de dire :
« Je choisis. »

L’éthique de la lame
Pourquoi une éthique de la lame ?
Parce que dans un monde où tout se dilue, seule la précision sauve.
Parce que la bien-pensance collective est devenue un brouillard tiède.
Parce qu’il faut apprendre à distinguer la compassion de la complaisance,
la lucidité de la peur,
la rigueur du dogme.

L’éthique de la lame n’est pas un appel à la violence.
C’est une discipline du discernement.
C’est la vertu des temps d’effondrement :
ne pas se réfugier dans la nostalgie ni dans le cynisme,
mais tenir la ligne — comme on tient une lame, entre le pouce et l’index, sans trembler.


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Épilogue : le tranchant et le miroit
La société s’effondre ; la lame demeure.
Le vacarme des sermons, des réseaux et des algorithmes finira par se taire.
Mais celui qui aura poli sa conscience comme une lame continuera de refléter la lumière.

Ce que tu tailles dans le monde, c’est toi-même.
Et quand il n’y aura plus de temple,
il te restera la main qui sait encore comment frapper juste.

jeudi 2 octobre 2025

Là où les algorithmes échouent

Tout système rencontre son abîme.
Un algorithme est censé dompter le monde. On y verse les données, on tourne la manivelle, et il en ressort de l’ordre, de la prédiction, l’illusion de la maîtrise. Mais tout système a ses limites, ses angles morts, sa falaise où la raison s’effondre dans le vide. Les mathématiciens appellent cela une singularité.

Une singularité, c’est le point où les équations cessent de fonctionner. La division par zéro. L’infini devenu fou. Une discontinuité brutale. En physique, c’est le trou noir : l’horizon où même la lumière meurt. Dans la vie, c’est l’endroit où nos formules de sens cessent de s’appliquer.

Les algorithmes, eux aussi, ont leurs singularités.

Les fausses singularités
Tout effondrement n’est pas un abîme.

Le réseau neuronal qui diverge à cause d’une mauvaise initialisation.
Le marché qui s’écroule parce que les spéculateurs ont bouclé la boucle sur eux-mêmes.
La machine qui recrache du non-sens parce que les données d’entraînement étaient pourries.
Ce ne sont pas des horizons. Ce sont des fautes d’artisanat. Des erreurs de conception que l’on peut corriger avec plus de rigueur, de soin, de maîtrise.
Les fausses singularités effraient les timorés, parce qu’ils confondent l’inconvénient avec le destin.

Les vraies singularités
Une vraie singularité est l’horizon de l’être lui-même.

En mathématiques : Gödel, Turing, ces points où la logique elle-même se vide dans l’indécidable.
En physique : le trou noir, l’indétermination quantique, la mort irréversible.
Dans la vie humaine : la solitude, la liberté, la mortalité, le refus de l’univers de fournir un sens tout fait.
Ici, aucun correctif ne suffira. Ni mise à jour, ni prière, ni dieu ne changeront ce qui est écrit.
Une vraie singularité n’est pas l’endroit où l’algorithme est mal écrit — c’est l’endroit où la réalité elle-même résiste au calcul.

L’affrontement satanique
La religion se repaît des fausses singularités. Chaque panne devient jugement, chaque tempête un châtiment. Et quand elle rencontre les véritables horizons — le silence de l’univers, la certitude de la mort — elle détourne le regard, tissant des contes de paradis et de renaissance.

Le Satanisme ne détourne pas le regard. Il fixe les vraies singularités et les accepte.
La mort n’est pas un bug : c’est une loi.
La liberté n’est pas un don : c’est un fardeau.
Le sens n’est pas livré clé en main : il doit être créé, taillé, forgé.

Les fausses singularités exigent des réparations.
Les vraies singularités exigent du courage.

Et c’est là que tu te trouveras.

Si tu oses.

Arashi Wanderer Ryō
(Hōrō-Sha)
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Je suis membre actif de la Church of Satan. Mes propos n'engagent que moi : je ne parle pas au nom de l'organisation.

Site officiel de la Church of Satan


mardi 9 septembre 2025

The Devil's Architecture

(The Moral Geometry of My Memory)

A debt is, at first, nothing more than a number written down. In the language of accountants, it may be settled, amortised, or declared “irrecoverable”. Once declared so, it is erased, as though it had never existed. That is the liturgy of conventional bookkeeping: to transmute what was taken and never returned into a line of losses and profits, neutralised by time.

I refuse that liturgy. Where the world says “it is prescribed, it is over”, I answer: no. Where the Christian whispers “I forgive, though I cannot forget”, I declare, as a Satanist: I neither forget, nor forgive, nor absolve.

For the true vice is not the failure to repay. Money itself is only a symbol, a token of energy once given. The true vice lies in the act of erasure — in forgetting the one who gave, in reconstructing one’s own good conscience by denying the creditor’s existence. To “forget” a debt is to say: you never mattered. That is the rot at the core, the corruption that cuts deeper than any missing coin.

I will not allow that erasure. I do not beg for repayment; I do not expect a miraculous balancing of accounts. But I record the figure. I inscribe the debt in a parallel ledger, outside of time, outside of the world’s convenient amnesia. There it remains, fixed. Not written off, not closed, never dissolved. It becomes perpetual.

And because I know it will never be repaid, it is also irrecoverable. Here lies the paradox: the capital will never return, yet it is not gone. It mutates into a kind of shadow-currency, locked away in the vault of memory. It circulates nowhere, buys nothing, yet gleams in the dark like a coin struck from absence.

Each such debt becomes a numerical stone. Cold, inert, but enduring. A human face disappears; in its place remains only a number. Those who sought to erase me by forgetting their debt are themselves reduced, in my memory, to that figure. They are affirmed as debtors, yet effaced as persons. This is my inversion: to erase without erasing, to let the number survive while the name fades into shadow.

From these numerical stones I raise a private edifice. A house of black masonry, where every wall is built from unredeemed obligations, from vices preserved, from betrayals turned to architecture. This is the Devil’s architecture: a structure of memory that rejects the consolation of forgetting and the softness of forgiveness. The Devil, here, is no external demon but the implacable law of debt itself — the force that insists nothing vanishes, that every act leaves a trace, that every theft carves its own epitaph.

Where others erase, I engrave. Where others forgive themselves, I reduce them to the bare cipher of what they owe. Thus rises the geometry of my memory: a cathedral of shadow, an edifice of figures and wounds, built not to reconcile, but to remind.

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-sha)
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lundi 1 septembre 2025

Satanisme : le miroir et le masque

Derrière le folklore, les cornes et les bougies se cache un noyau philosophique que peu osent affronter.

Le Satanisme n’est pas un théâtre d’ombres pour Halloween, ni une religion d’évasion. C’est une confrontation brutale avec soi-même et avec le monde.

Le mythe fondateur du Satanisme n’est pas celui d’un démon vengeur ou d’un dieu caché. C’est l’histoire de l’individu qui choisit de se tenir seul.

Il se sait mortel, fugitif, et ne compte ni sur le paradis ni sur l’absolution. Il regarde un univers indifférent et dit pourtant : « J’existe. »

Dans ce mythe, Satan n’est pas un sauveur ; il est un miroir et un masque.

Le miroir vous force à affronter votre propre nature — instincts, désirs, forces et faiblesses.

Le masque vous libère, vous permettant d’assumer ces vérités sans demander la permission à la société ni à un dieu invisible.

Le chemin est simple, et il est rude :

  • Naissance – vous arrivez dans un monde qui ne vous doit rien.
  • Éveil – vous réalisez votre solitude et votre puissance.
  • Affirmation – vous choisissez de vivre pour vous-même, sans excuses.
  • Confrontation – vous acceptez les conséquences de vos choix et luttez pour votre existence.
  • Extinction – vous retournez au néant, ne laissant que la preuve de ce que vous avez osé être.

C’est tout. Pas de ciel, pas de châtiment cosmique. Seulement la vie elle-même, nue et sans ornement, à saisir à pleines mains.

Ce que LaVey a ajouté à ce mythe, c’est une ironie lucide et une esthétique délibérée.

Rituel, théâtre et humour noir ne servent qu’un but : nous rappeler que nous sommes des animaux conscients, capables de créer notre propre sens dans un univers qui n’en offre aucun.

Regarder ce mythe en face, c’est comprendre que le satanisme n’est ni une rébellion adolescente, ni une foi inversée. C’est un art de vivre — ou plutôt, un art de survivre avec style, sans illusion et sans repentir.

Cette vision est trop claire, trop précieuse, pour être polluée par des bêtises politiques ou religieuses.

C’est pourquoi j’en suis un des gardiens, contre vents et marées.

À mes conditions, en mon propre droit.

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Arashi Wanderer Ryō

(Hōrō-Sha)

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samedi 30 août 2025

Cadavres du temps jadis


(Autopsie de la pensée archaïque)

On lit souvent la même rengaine : « Des enfants meurent tués par balles dans les écoles, donc dieu n’existe pas. »
C’est l’argument du mal, répété jusqu’à l’usure. Il a son poids, mais il reste superficiel : un argument de circonstance, chargé d’émotion, mais pauvre en profondeur.

Si l’on veut vraiment contester l’idée de dieu – et plus encore celle d’une révélation divine – il faut lever les yeux plus haut. Vers le ciel, vers le monde, vers l’univers.


Le ciel d’hier et d’aujourd’hui

Il y a quatre mille ans, on voyait déjà Orion, la Grande Ourse ou le Scorpion.

Le ciel visible est resté plus ou moins le même : les constellations ont légèrement dérivé, certaines étoiles ont changé de magnitude, mais pour l’essentiel, l’horizon nocturne des Anciens ressemblait au nôtre.

Ce qui a changé, ce n’est pas le ciel, mais son interprétation : on ne parle plus d'une coupole solide percée de lampes, des dieux attachés aux étoiles, un soleil et une lune créés pour l’homme.
Mais c'est bien de cette vision à courte vue qu'est née une théologie cosmique : le ciel comme preuve, le cosmos comme ordre moral.


Le ciel ne se réduit pas à ce qu’on voit

Il ne suffit pas de lever les yeux pour comprendre l’univers. Les Anciens prenaient le visible pour le réel.
Or, le cosmos ne se limite pas à sa façade : Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars, existaient déjà à l’époque biblique. Personne ne les connaissait, car il fallut attendre 1877 pour les observer avec les instruments de Hall.

Autrement dit : le ciel « familier » n’était qu’une illusion de surface. Le monde réel était toujours plus vaste, plus complexe, et il échappait complètement aux représentations religieuses.


La bascule mentale 

C’est là qu’intervient cette bascule mentale, typique d'une mentalité pré-logique qui rappelle la logique infantile : la synecdoque spontanée, qui transforme une partie en totalité.

(explication complète ICI)


Cette confusion instinctive a nourri des dogmes entiers. Mais elle s’est révélée fausse : ce que l’on voyait n’était pas « le tout », seulement une petite fenêtre sur une réalité plus vaste.


Science contre mythe

Aujourd’hui, nous savons que :

- la vision géocentrique est erronnée ;

- les étoiles sont d’autres soleils, à des distances vertigineuses ;

- l'Homme n’est pas le but du cosmos, mais une coïncidence évolutive.


Le cosmos, dans ses grandes lignes, est resté le même. Ce sont nos lectures qui ont basculé du mythe à la science.
Et c’est là que la critique devient implacable : les textes sacrés décrivent un monde qui n’existe pas, qui n'a jamais existé.


L’excuse de l’époque ?

On objectera que les Anciens n’avaient pas les moyens d’en savoir plus. C’est vrai… et faux.
Vrai, ils n’avaient ni télescopes ni satellites.
Faux, car dès l’Antiquité grecque et à l’époque de l’Islam médiéval, des savants et mathématiciens savaient déjà calculer, observer, pressentir des lois.

Or, si la révélation était d’origine divine, pourquoi ne contient-elle aucune avance, aucune connaissance vérifiable, aucun indice qui puisse encore aujourd’hui être reconnu comme preuve ?

Et surtout : pourquoi accepter encore une vision archaïque, symbolique et poétique, alors que la science décrit l’univers en termes précis — spectres lumineux, constellations mesurées, naines blanches et rouges, amas stellaires surnommés LGM par dérision ?


Le tribunal divin de la météorologie 

La même erreur vaut pour la météo. Orages, sécheresses, tremblements de terre : autant de « jugements divins » dans l’imaginaire ancien.
Et l’on en trouve encore la trace : en droit anglo-saxon, les contrats parlent toujours d’« acts of god » pour désigner les catastrophes naturelles.

Archaïsme absolu. Nous savons que la pluie vient de la condensation, que la foudre est un différentiel électrique, que les cyclones naissent des masses d’air et des océans.
Mais le vieux réflexe survit dans le langage – preuve que l’ombre du mythe persiste.


Les prescriptions : pragmatisme devenu dogme

Même les interdits alimentaires et rituels montrent ce mécanisme, par exemple :

- la circoncision : peut-être utile pour réduire certaines infections dans un monde sans antiseptiques ;

- le porc : viande fragile, dangereuse sans conservation ;

- les fruits de mer : hautement périssables, parfois toxiques crus.

Autant d’observations empiriques et sanitaires transformées en prescriptions éternelles. Ce qui relevait du simple bon sens ou de la coutume a été divinisé pour devenir loi sacrée.


Archaïsme contre modernité 

Un raisonnement archaïque ne tient que jusqu’à ce qu’un raisonnement plus moderne le remplace.
On ne peut pas conserver une explication symbolique ou poétique du monde — comme le font les religions — et en même temps s’appuyer sur les résultats de la science qui la contredisent.
On ne peut pas dire que le ciel est une coupole percée de lampes, tout en envoyant des sondes vers Jupiter.
On ne peut pas parler d’« actes de dieu » pour les catastrophes naturelles, tout en calculant avec précision la formation d’un cyclone.

Les dogmes se figent là où les sciences progressent. Et c’est cette dissonance qui révèle la vraie fracture : la religion n’a pas suivi la marche des raisonnements, elle est restée collée à l’archaïque.


Le poids des faits

Critiquer la religion par les drames humains, c’est l’attaquer sur son terrain moral, où elle trouvera toujours une parade.
Mais critiquer la religion par le ciel, la météo et les prescriptions, c’est attaquer à la racine.

Le cosmos est resté pour l’essentiel le même.
Les nuages se forment comme hier.
La viande se gâte aussi vite qu’autrefois.
Ce sont les dieux qui ont changé de visage.

Et pour parodier Goya : le sommeil de la raison n’engendre pas seulement des monstres — il engendre également les dieux. 

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-sha)

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Je suis membre actif de la Church of Satan. Mes propos n'engagent que moi : je ne parle pas au nom de l'organisation.

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jeudi 28 août 2025

La synecdoque spontanée : du local à l'universel

La synecdoque spontanée est un terme barbare, mais il décrit un mécanisme très simple : ce moment où un fait local se gonfle, dans l’esprit humain, d’un sens universel. Une inondation dans une vallée devient le Déluge du monde entier ; la mort d’un homme crucifié devient la mort de la Mort. 


Rien n’est encore fixé en dogme, mais déjà le particulier se prétend cosmos. 


C’est ce passage immédiat, instinctif, de la partie au tout, qui constitue le pivot entre la recherche de sens et la religion révélée.


L’étymologie nous aide à en saisir la portée. Synecdoque, du grec synekdochḗ, signifie « compréhension conjointe » : une figure où une partie est prise pour le tout. Spontanée vient du latin sponte, « de soi-même » : sans calcul, sans réflexion, par pur réflexe mental. La synecdoque spontanée est donc l’opération par laquelle un événement limité, particulier, surgit comme s’il était universel.


C’est là que naissent les archétypes. Car un archétype n’est pas tombé du ciel : il condense des synecdoques spontanées répétées, amplifiées, déformées. 



Le Héros, la Grande Mère, le Sauveur, le Déluge purificateur : toutes ces figures procèdent de la même inflation symbolique où un vécu local s’érige en modèle pour tous. Ce n’est pas un platonisme détaché du réel, c’est une cristallisation des réflexes humains devant l’angoisse du chaos, le besoin de sens et le prestige de l’unique.


Moïse en offre un exemple frappant. À l’origine, c’est un chef qui libère un peuple de l’esclavage égyptien et reçoit une Loi. Mais la synecdoque spontanée agit : l’Exode local devient le paradigme de toute libération. Le récit se répète, s’amplifie, se déforme jusqu’à ce que Moïse en arrive, dans le Deutéronome, à raconter sa propre mort. 


À ce stade, nous ne sommes plus dans l’histoire, mais dans le mythe pleinement constitué : le personnage n’est plus un homme, mais une figure.


Jésus suit le même chemin. Exécuté en Judée, il est lu comme le « nouveau Moïse » : non plus libérateur d’un peuple, mais libérateur de l’humanité entière. L’Exode devient spirituel, la vallée de la mort et de la peur est traversée, et une nouvelle Loi est donnée, non plus gravée sur la pierre mais inscrite dans le cœur. 

Ici encore, la synecdoque spontanée transforme une mort locale en salut universel, et ce gonflement symbolique s’impose comme fondement de la religion.


C’est pourquoi il est vain de vouloir chercher derrière ces récits une vérité historique brute : Jésus révolutionnaire ou conservateur, sage rural ou charpentier illuminé. De même qu’il est absurde de demander si Moïse a vraiment écrit le récit de son propre décès. Ce qui compte n’est pas l’homme biographique, mais l’opération symbolique qui a transfiguré son histoire. 


La synecdoque spontanée est ce qui a donné naissance au mythe, et c’est seulement dans la cohérence interne du mythe que nous pouvons l’interpréter.


La leçon vaut encore aujourd’hui. Car cette logique n’appartient pas seulement à l’Antiquité. Elle est toujours à l’œuvre dans nos sociétés : une rumeur locale devient théorie du complot mondiale ; un fait divers se transforme en légende urbaine ; une anecdote gonfle jusqu’à servir de preuve ou de modèle universel. Le même mécanisme qui a produit le Déluge et la Résurrection fabrique encore, à l’échelle contemporaine, nos mythes quotidiens.


Méfiez-vous donc des mythes locaux, des contes ruraux, des légendes urbaines, et de ces mythes contemporains qui, par synecdoque spontanée, se donnent l’apparence d’universalité. Car derrière le gonflement symbolique, il n’y a parfois qu’un détail, une anecdote, ou un simple bruit de fond.


Arashi Wanderer Ryō 


(Hōrō-sha)


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Je suis membre actif de la Church of Satan. Mes propos n'engagent que moi : je ne parle pas au nom de l'organisation.


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vendredi 22 août 2025

Deus ex Machina ?

Ceux qui ont lu Deus Ex Machina de Pierre Ouellette comprendront mieux que les autres : le fantasme central est celui d’une machine accédant à la conscience. Jusqu’ici, ce scénario appartient entièrement à la fiction. Et pourtant, beaucoup s’y accrochent, comme si l’IA actuelle portait déjà la promesse — ou la menace — d’un tel saut.


Le rêve de la conscience artificielle

Ce qui fascine, ce n’est pas ce que l’IA fait réellement — trier, imiter, recombiner — mais ce que l’on imagine qu’elle pourrait devenir : un esprit indépendant, un alter ego numérique capable de jugement, de désir, d’invention. Pour certains, cette projection est un rêve ; pour d’autres, un cauchemar. Dans les deux cas, ce n’est qu’une illusion.


Une machine sans vie

L’IA ne ressent rien. Elle n’a ni faim, ni peur, ni mémoire vécue. Elle ne connaît ni la douleur, ni la perte, ni la joie. Elle calcule, simule, produit. Ses résultats peuvent impressionner, mais ils ne naissent d’aucune expérience intérieure. Ceux qui croient y voir une conscience sont trompés par l’échelle : ce qu’ils observent n’est qu’une galerie de miroirs statistiques.


L’industrie derrière le « miracle »

Et il ne faut pas oublier la machinerie derrière l’illusion : serveurs engloutissant de l’électricité, mines éventrant des métaux rares, équipes d’ingénieurs, factures d’énergie astronomiques. Rien de divin, rien de spontané : seulement de l’industrie lourde, matérielle et polluante. Parler de « miracle technologique » sans reconnaître cette réalité est une omission bien commode.


Une superstition moderne

La plupart de ceux qui pérorent sur l’IA ne l’ont jamais pratiquée. Ils n’ont pas vu ses erreurs, ses inventions, ses limites. Ils imaginent un oracle, alors qu’en pratique elle exige vérification, correction, cadrage. La foi aveugle en son omniscience n’est rien d’autre qu’une superstition moderne, guère différente des cultes religieux d’autrefois.


Une perspective lucide

La vérité est plus simple : l’IA n’est pas une conscience. Elle ne sauvera pas l’humanité, pas plus qu’elle ne la détruira. C’est un outil — puissant, certes, mais borné, et entièrement dépendant de ceux qui s’en servent. Le danger ne réside pas dans la machine, mais dans la cupidité et la crédulité de ceux qui s’imaginent qu’elle est plus qu’elle n’est.


Et alors ?

Le mythe de la machine consciente est séduisant, mais il reste un mythe. En réalité, l’IA d’aujourd’hui n’est ni un miracle ni une menace surnaturelle. Elle est un miroir : elle reflète nos fantasmes, nos peurs, nos illusions. Tant que nous la traiterons comme une divinité — qu’elle soit bienveillante ou malfaisante — nous resterons prisonniers de nos propres fables.

Alors : rions de l’idole. Voyons les câbles. Dévoilons l’illusion. Utilisons l’outil sans nous agenouiller devant lui. Plus on apprend à déchirer le voile mystique, moins l’IA a de pouvoir sur nous.

Et n’oublions jamais que la main qui tient le couteau est toujours plus dangereuse que le couteau lui-même.


Arashi Wanderer Ryō 

(Hōrō-sha)

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mercredi 20 août 2025

Le temps, la mémoire et l'instant

(Essai de philosophie satanique)

Time waits for nobody… We’ve got to build this world together / Or we’ll have no more future at all, because time—it waits for nobody.

La tyrannie des horloges

Le temps est une abstraction.

Une invention humaine qui s’est faite démiurge.
De la clepsydre antique aux horloges atomiques de Braunschweig, nous avons cru dompter la durée.
Mais la vérité est brutale : nous ne maîtrisons rien.
Nous savons compter les secondes, mais pas les vivre.
Et dans cet intervalle minuscule qu’est une seconde, la vie et la mort échangent leurs places.


Le cimetière des secondes

Ce que nous appelons mémoire n’est qu’un cimetière de secondes consumées.
Certaines brillent comme des étoiles mortes dont la lumière nous parvient encore.
D’autres sont des ruines, des instants ternes que nous aurions préféré ne jamais vivre.
Mais toutes, sans exception, sont la preuve que nous sommes des incendiaires du temps.
Chaque seconde brûlée laisse une cendre, et cette cendre s’appelle souvenir.
La mémoire est notre archive de flammes, parfois douce, souvent implacable.


La seule éternité réelle

Le seul temps réel est l’instant.
La seconde que je tiens dans ma main, que je peux modeler, consumer, dévorer.
C’est là que se joue le satanisme vécu : la lucidité devant l’instant.
Ne pas attendre demain, ne pas pleurer hier — mais transformer le présent en arme, en offrande, en affirmation.
Une seconde d’attention, et j’évite l’accident.
Une seconde de lucidité, et je saisis l’opportunité.
Une seconde de volonté, et je façonne le monde selon mon désir.


Le pacte du temps

Le Sataniste ne vénère ni le passé ni le futur.
Il s’incline seulement devant l’instant, parce qu’il est le seul temple réel du pouvoir personnel.
Le temps est le grand illusionniste, la mémoire son musée, mais l’instant est le couteau :
tranchant, réel, décisif.

Ever forward !


Arashi Wanderer Ryō 

(Hōrō-sha)

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mercredi 13 août 2025

L'impossible grand écart

(Musée de cire ou théâtre des vertus ?)

Le spectateur moderne croit choisir ce qu’il regarde.
En réalité, il ne fait que consommer ce que le clergé culturel lui a préparé.
Studios, plateformes, festivals : ils décident ce que vous allez voir et surtout comment vous allez le voir.

Leurs deux évangiles sont clairs :
D'un côté, le musée de cire, où l’art se fige en réalisme cadavérique.
De l'autre côté, le théâtre des vertus, où l’histoire se plie aux sermons du jour.

Le musée de cire : l’obsession du vrai mort
Aujourd’hui, un biopic n’est plus un portrait, c’est une reconstitution médico‑légale.

Prenons Stephen Hawking.
Le spectateur croit « vouloir » un film où l'acteur lui ressemble à la cellule près ; où la dégénérescence SLA suit le bon rythme ; et où la chaise roulante est exactement celle de 1979.

En vérité, ce dogme vient d’en haut.
Ricky Gervais l’a résumé :
« Il faudrait prendre un acteur invalide, le rendre valide pour jouer Hawking avant la maladie,
puis le retransformer en invalide pour la suite. »

Voilà l’authenticité selon le clergé culturel : une taxidermie avec le budget d'une usine à séries.

Le théâtre des vertus : l’obsession de la posture
À l’autre extrême, on aime corriger le passé pour lui faire chanter nos valeurs.
Dernière trouvaille : Guenièvre, reine de la Table Ronde,
incarnée par une actrice afro‑britannique dans une série BBC.

Personne n’a jamais exigé ça.
Mais les producteurs, eux, ont décidé que le Moyen Âge devait refléter la diversité du XXIᵉ siècle.

Peu importe l’histoire, l’archéologie, ou même la légende.

Résultat ? Un sermon illustré.
Le passé devient une pub pour fringues tendance avec des épées.
Le spectateur applaudit la posture et se croit libre, alors qu’on vient de lui vendre un prêche.

Deux dogmes, un même résultat
Musée de cire ou théâtre des vertus, le verdict est le même : l’art meurt.

Dans un cas, il s’embaume dans l’exactitude glaciale.

Dans l’autre, il s’évapore dans la morale.


Dans les deux cas, le spectateur regarde ce qu’on a décidé pour lui,
et non ce qui pourrait le troubler, l’élever, ou le réveiller.

La troisième voie : la fidélité poétique
Il existe une autre manière de faire.
Ne pas mentir. Ne pas s’agenouiller.
Être fidèle à l’âme, pas à la photo ni au sermon.

L’art qui brûle les dogmes,
et qui ose dire :  « Je ne te montre pas ce que tu veux voir.
Je te montre ce qui vit encore pour nous, aujourd'hui. »

Conclusion
Le clergé culturel nous tend deux prisons :
le cadavre réaliste et le pantin vertueux.

Moi, je choisis la voie du feu.
Celle qui brûle les illusions et montre l’essentiel.
Car, comme tout bon Sataniste le sait : mieux vaut une vérité vivante qu’un mensonge conforme.

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-sha)

PS : libre à vous de vous demander pourquoi Jules Brunet (1838 - 1911) est devenu « Nathan Algren » dans The Last Samurai.

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dimanche 10 août 2025

En territoire ouvert...

« Lorsque tu marches en territoire ouvert, ne dérange personne.
Si quelqu’un te dérange, demande-lui d’arrêter.
S’il ne s’arrête pas, détruis-le. »
— Anton Szandor LaVey
La Bible Satanique

Imaginez la scène.
Vous marchez, tard le soir, dans une rue presque déserte.
Quelqu’un arrive en sens inverse.
Il vous jette un regard indifférent et continue son chemin.
Rien ne se passe.

C’est le contrat social qui fonctionne.
Silencieux, invisible, mais bien réel :
Ne me nuis pas, et je ne te nuirai pas.
La plupart du temps, ça suffit.
Et nous nous croyons protégés parce que, la plupart du temps, ça tient.

Maintenant, la même scène…
L’homme ralentit, vous fixe.
Une insulte marmonnée, une bousculade volontaire.
Le contrat social vacille.
Vous entrez dans la zone grise,
cet espace où le confort de la loi semble soudain très loin.

La loi, censée être notre bouclier, devient alors une ombre floue.
On nous parle de proportionnalité,
comme si la survie se calculait avec des règles mathématiques :
« Vous aviez deux baguettes chinoises.
Il n’en avait qu’une.
Même en vous défendant, c’est vous qui avez tort. »

Pendant que la justice théorise, la vie tranche sans hésiter.

Cette logique ne s’arrête pas aux ruelles sombres.
Pensez aux premiers pilotes de chasse de la Grande Guerre,
s’affrontant dans des biplans fragiles, sans parachutes.

On les appelait les chevaliers du ciel,
on les enveloppait de romantisme et de gloire…

Mais en réalité, c’était de l’animalité pure :
lui ou vous.
Un regard au mauvais endroit, une hésitation d’une seconde,
et l’histoire se terminait en flammes.
Le territoire ouvert existe sur terre comme dans le ciel.

Puis arrive le moment où le contrat se brise entièrement.
Une attaque brutale, un geste irréversible, le point de bascule.

Ici, il n’y a plus ni loi, ni théorie, ni morale.
Seulement l’animal brut en nous.
Pas la haine, pas la cruauté.
Juste cette lucidité nue qui murmure : c’est toi ou moi.

Ces instants nous rappellent que la civilisation
n’est qu’un vernis posé sur des instincts beaucoup plus anciens.

Dans le métro, sur un parking, ou dans un duel aérien au-dessus des tranchées,
tout est territoire ouvert.
Et la bulle fragile dans laquelle nous croyons vivre
peut éclater au moindre geste.

Reconnaître cette réalité n’est pas un appel à la violence.
C’est une manière de marcher dans la vie les yeux grands ouverts,
en comprenant qu’aucune loi, aucune morale, aucune institution
ne remplace la vigilance et la conscience de sa propre force.

Le contrat social rend la vie confortable.
La loi nous berce d’illusions.
Mais la vie, elle, n’obéit qu’à une seule règle :
celui qui perçoit la rupture en premier a une chance de survivre.

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-sha)

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mardi 5 août 2025

Miyamoto Musashi : le surhumain pragmatique


Dans l’imaginaire collectif, Miyamoto Musashi (1584‑1645) est le plus grand sabreur de l’histoire du Japon, maître de la stratégie et de l’art du duel. Mais derrière la légende se dessine un homme qui a choisi de vivre selon ses propres règles, en accord total avec sa lucidité et son efficacité.

L’indépendance d’un rōnin
Au début du XVIIᵉ siècle, la société japonaise reposait sur une hiérarchie stricte : les samouraïs servaient leur seigneur selon des traditions exigeantes, même si le Bushidō formalisé n’existait pas encore. La loyauté et le devoir étaient des réalités vécues plus que codifiées.

Musashi, lui, refuse cette voie toute tracée. Il choisit la vie de rōnin, sans maître, sans filet, libre mais précaire. Il préfère affronter le monde avec pour seule armure son art et sa lucidité. Ce choix radical lui permet de suivre son propre chemin, quitte à se tenir en marge.

La force de l’essentiel
Musashi ne fonde pas sa valeur sur des titres ou des apparences, mais sur la compétence pure. Plus de soixante duels attestent de son talent et de sa compréhension des stratégies de combat. Son école, Niten Ichi‑ryū, prône l’efficacité dépouillée de tout geste inutile : pas d’ornement, pas d’esthétique gratuite, seulement ce qui fonctionne.

Cette clarté se retrouve dans sa vie entière. Musashi élimine le superflu, se concentre sur ce qui compte : apprendre, progresser, vaincre. Il voit les hommes et les situations sans fard, sans illusions. Dans Le Livre des Cinq Anneaux, il transmet une vision du monde où la lucidité remplace le rêve, et où seule l’action juste a de la valeur.

Une vie transformée en œuvre
À la fin de sa vie, Musashi se retire pour écrire, sculpter, peindre et méditer. Son existence devient une œuvre unique, où l’art, la pensée et l’action s’entrelacent. Tout ce qu’il a vécu converge en une trajectoire cohérente, à la fois simple et monumentale.
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Par son indépendance, sa lucidité et sa force tournée vers l’essentiel, Musashi incarne parfaitement ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un surhumain pragmatique. Sa vie nous confronte à une vérité brute : la véritable force naît de l’indépendance et de la clarté, et le monde n’attend ni excuses ni illusions.

Contempler Musashi, c’est sentir une fissure s’ouvrir dans nos certitudes. Dans cette fêlure, une lumière passe : celle qui murmure qu’il existe une autre manière de vivre, à notre propre mesure, loin du vacarme des simulacres.

Il n’est donc pas étonnant qu’un tel personnage, historique et légendaire à la fois, semble encore hanter l’imaginaire collectif, comme si son ombre veillait toujours sur ceux qui cherchent leur propre voie.

Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-sha)

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Estampe ukiyo‑e de Miyamoto Musashi par Utagawa Kuniyoshi (歌川 国芳, 1798–1861)
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