vendredi 25 juillet 2025

Zatoichi, la lumière de minuit

Kōan Zen : « Midi n’est pas clair, minuit est la vraie lumière. »

Il y a des phrases qu’on n’explique pas. On les traverse, comme un sentier dans le brouillard ou une lame dans le silence.

Zatoichi (1) marche dans cette vérité depuis toujours.
On croit voir à midi. On croit comprendre. Mais le soleil écrase plus qu’il ne révèle. Il inonde de certitudes, gomme les nuances, aveugle de trop de clarté.
C’est dans la pénombre que les choses prennent relief. Dans les bruissements de sabres, les faux silences, les battements retenus.
Zatoichi n’a jamais vu le monde, mais il le reconnaît mieux que quiconque.

Il ne croit pas. Il sent. Il ne parle pas. Il tranche.
Pas pour briller. Pour rétablir.
Son monde est intérieur, et pourtant il affleure à chaque pas, chaque geste, chaque décision. Il vit dans les angles morts, et c’est là qu’il voit le plus juste.

Dans les traditions de la main droite — religions théistes, systèmes verticaux, moralités standardisées — le clair est pur, le sombre est menaçant. Le blanc rassure. Le noir inquiète.
On prie vers la lumière, on fuit l’ombre, on vénère le jour.

Mais la voie de la main gauche ne se laisse pas dicter son horizon.
Elle descend.
Elle regarde ce que les autres évitent. Elle vérifie les angles morts. Non par paranoïa, mais parce qu’elle sait que c’est souvent là que la vérité se cache : dans les marges, les silences, les refoulements.

Elle n’est pas anarchie — elle est responsabilité.
Elle transgresse, mais en conscience. Elle assume ce que les autres préfèrent taire, tant que cela n’enfreint aucune loi. Car l’intime n’a pas à rendre compte au collectif, pas plus que la nuit à la lumière.

Zatoichi, sans discours, incarne cette éthique souterraine.
Il ne juge pas. Il perçoit. Il agit quand il le faut.
Même sans voir, il sait qui ment, qui vacille, qui trahit.
Il ne regarde pas — il écoute. Il ressent. Et parfois, il frappe.

Dans Zatoichi Meets Yojimbo (1970), la tension est partout.
Le village est rongé par les mensonges, les pactes intéressés, les alliances de façade.
Yojimbo, cynique, joue le jeu un instant.
Zatoichi, lui, reste en dehors. Il ne voit rien, mais il devine tout. Il entend le faux dans les voix, la peur dans les silences.
Et quand il agit, c’est toujours juste — comme un coup de sabre qui révèle l’architecture cachée d’une scène.

Mais il n’est pas que violence.
Dans The Tale of Zatoichi (1962), une simple scène au bord de l’eau révèle cette acuité invisible : face à une femme silencieuse, il devine une tristesse qu’elle ne formule pas. Aucun mot fort. Aucun plan grandiose.
Juste une présence.
Celle de quelqu’un qui ne voit pas, mais qui ne se laisse pas tromper.

La lumière de minuit, c’est cela.
Ce n’est pas un flambeau. C’est une brèche dans la nuit. Une lucidité qui n’a pas besoin de projecteurs.
Elle n’éblouit pas.
Elle révèle.

Zatoichi avance encore.
Dans les ruelles. Dans les plis de notre époque.
Dans tous ces gestes justes que personne ne regarde.

Et peut-être, parfois, dans les nôtres aussi.

Ceux qui pensent encore que l’ombre est le mal n’ont jamais franchi minuit.

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(1) Zatoichi est un personnage de fiction japonais apparu au cinéma en 1962, incarné par Shintarō Katsu. Aveugle, masseur itinérant et bretteur d’exception, il dissimule un sabre dans sa canne. Inspiré d’une simple mention dans une nouvelle de Kan Shimozawa, jamais développée, le personnage est devenu une figure mythique du cinéma japonais.
Zatoichi voit dans le noir. Et souvent, il tranche plus clair que tous les voyants.

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Je suis membre actif de la Church of Satan. Mes propos n'engagent que moi : je ne parle pas au nom de l'organisation.

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