mardi 25 novembre 2025

Victorian Vigilante : la justice en redingote

Il y a un plaisir particulier, presque intime, à reconnaître qu’une œuvre d’art, sans jamais le dire, se cale d’instinct sur ta propre manière de voir le monde. Victorian Vigilante possède exactement cette qualité. Sous les effets de gaz incandescent, les bottes lustrées, la redingote sombre et les poses de Bartitsu, quelque chose de plus terre-à-terre affleure : une philosophie des conséquences qui parlera immédiatement à quiconque aborde la vie avec un regard sataniste.

Tout repose sur un mot, un seul : misdeeds, les méfaits. La clarté que ce mot apporte est stupéfiante. Un « péché », c’est de la théologie pure, c’est le vocabulaire de la soumission, avec son ordre moral universel et son autorité invisible en arrière-plan. Un « méfait.», au contraire, demeure solidement ancré dans le réel. C’est quelque chose qu’un individu a fait : par négligence, par égoïsme, par malveillance, par bêtise. Bref, par humanité. Une fois que l'on se rend compte de cet indice, tout le reste se réorganise. Le Vigilante n’est plus un croisé, ni un exécuteur de justice abstraite. Il ne fait que suivre la trace laissée par quelqu’un persuadé de l’avoir effacée : une empreinte dans la mauvaise flaque, un pan de manteau trempé d’eau noire, une perturbation à peine perceptible dans le rythme nocturne de la ville.

L’éthique satanique a toujours misé sur la responsabilité plutôt que sur la repentance, sur le monde tel qu’il fonctionne réellement plutôt que tel que les gens aimeraient qu’il soit. C’est exactement ce qui anime le Vigilante. Il n’invoque aucun dieu, ne parle jamais d’absolu. Il observe, écoute, déduit ; il suit la logique des actes sans la couvrir de métaphysique. L’univers de la chanson n’a pas besoin de forces surnaturelles : il repose sur la cause, l’effet, et sur un homme qui a décidé d’être le point de rencontre entre les deux. Rien de dévotionnel dans cette posture. C’est simplement quelqu’un qui voit clair, agit avec précision, et n’a aucune intention de s’excuser d’être l’agent des conséquences.

Et l’esthétique vient confirmer cette lecture. Dans la pensée satanique, l’apparence n’est pas une coquetterie : c’est un langage. Une intention affichée. Les bottes impeccables du Vigilante, sa longue redingote, l’économie élégante de ses gestes : rien de décoratif. Tout annonce un tempérament : calme, lucide, inébranlable. Il traverse un monde saturé de mensonges et d’illusions, et il y perce toujours une ligne droite. Il ne joue pas au sauveur ; il ne prétend pas flotter au-dessus de la mêlée. Il marche simplement en sachant exactement où il se tient.

Quand la confrontation arrive, la chanson évite soigneusement la morale religieuse. Le Vigilante ne « condamne » pas au sens pieux du terme. Il ne dramatise pas l’affrontement comme un duel entre Bien et Mal. Le combat ressemble à une formalité, presque une conséquence logique. Le criminel s’agite, s’affole, tente désespérément d’échapper à la suite naturelle de son propre acte. Et la chanson livre alors sa ligne la plus révélatrice : il meurt de son propre mouvement incontrôlé. Le Vigilante ne porte pas le coup fatal. Il ne fait que détourner l’énergie que l’autre a déjà libérée. Ce n’est ni vengeance, ni jugement : c’est le monde qui referme la boucle.

C’est là que la chanson tire sa véritable puissance. Elle décrit un univers où la justice ne tombe pas du ciel : elle émerge tout naturellement du comportement de ceux qui en brisent l’équilibre. Pas besoin de miracles. Un méfait laisse une trace, la trace ramène à son auteur, et le Vigilante se contente de suivre le fil. La redingote et la canne offrent du théâtre, oui, mais le principe sous-jacent est aussi simple qu’un pavé mouillé : les gens répondent de ce qu’ils font, pas de ce qu’ils proclament.

Dans ce sens, Victorian Vigilante ressemble à une petite parabole écrite pour ceux qui ont dépassé les morales infantilisantes. Le Vigilante ne sauve aucune âme. Il restaure un équilibre. Il ne prêche pas. Il conclut. Puis il disparaît dans le brouillard - non comme un prophète de vertu, mais comme le rappel discret et implacable que les actes ont des conséquences, et que ni la panique ni la prière ne peuvent défaire ce qu’on a soi-même mis en mouvement.

Abney Park - Victorian Vigilante


Arashi Wanderer Ryō 


dimanche 23 novembre 2025

Ce que la laïcité peut réellement signifier

Ce texte ne traite ni de politique partisane, ni d’idéalisation culturelle.

Il propose simplement une réflexion sur ce que la laïcité peut devenir lorsqu’on la considère comme un cadre civique plutôt qu’un débat religieux.
Les exemples cités ne sont pas des modèles à suivre, mais des illustrations : chaque pays porte son histoire, et celle-ci façonne des formes de vie publique différentes.
L’objectif est de clarifier la notion de laïcité — rien de plus, rien de moins.


Regarder vers le Nord, mais autrement

Quand on évoque les pays scandinaves, on parle volontiers de flexicurité, de protection sociale, d’emploi flexible.
On oublie pourtant l’élément discret qui soutient l’ensemble : une laïcité calme, mûre, intégrée à la culture civique.

Une laïcité qui ne moralise pas.
Qui ne panique pas.
Qui n’a rien à prouver.

Une laïcité où le sujet n’est pas la croyance, mais le citoyen.

Cette attitude s’est construite dans un environnement géopolitique singulier : les pays nordiques ont longtemps vécu entre deux sphères morales et politiques très différentes.

  • Au Sud et à l’Ouest : une Europe façonnée par des siècles de conflits religieux.
  • À l’Est : la Russie, où l’État et la religion restent étroitement liés.

Entre ces deux pôles, la Scandinavie a suivi son propre chemin — un chemin ancien, souvent méconnu.


Une religion “aplanie” avant l’arrivée de la laïcité

Un point crucial est souvent oublié : la nature particulière des Réformes protestantes nordiques.
Contrairement aux trajectoires allemande ou anglaise, le protestantisme scandinave a évolué vers une forme étonnamment modeste :

  • pouvoir clérical limité,
  • très peu de rituel ou de mysticisme,
  • hiérarchie théologique réduite,
  • importance culturelle, mais faible poids politique.

Cette “désacralisation” précoce a facilité la transition vers un cadre civique séculier.
Il n’y a pas eu besoin de croisade antireligieuse ; la sécularisation s’est faite presque naturellement.

Les Églises sont devenues ce qu’elles sont censées être dans un État moderne :
des références culturelles privées, pas des forces politiques.


Mettre le citoyen au centre

La France vit souvent la laïcité comme un principe défensif ou punitif.
Les pays nordiques, eux, ont construit leur vie collective autour d’un principe simple :
le citoyen est un adulte responsable.

Pas un suspect.
Pas un pécheur.
Pas un risque potentiel pour la nation.
Juste un membre de la communauté, protégé et tenu d’agir dans un cadre neutre.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les institutions nordiques sont fortes et largement dignes de confiance.
Perdre son emploi au Danemark ou en Suède ne fait pas de vous un fraudeur présumé : le système commence par aider, pas par suspecter.

Là où la France moralise, les Nordiques soutiennent.
Là où la France soupçonne, les Nordiques font confiance jusqu’à preuve du contraire.

Ce n’est pas de la naïveté : c’est un choix culturel délibéré.


Une laïcité sans névrose

Au cœur du modèle nordique se trouve une laïcité qui fonctionne parce qu’elle reste épurée :

  • la religion est affaire privée,
  • la loi définit l’espace commun,
  • la responsabilité prime sur la culpabilité,
  • la diversité est normale, pas menaçante.

Elle n’est pas militante.
Elle n’a pas besoin de rappels constants.
Elle est stable parce qu’elle n’est pas défensive.

Bien sûr, les sociétés nordiques ont leurs excès.
Leurs politiques très strictes sur l’alcool et la santé publique le montrent : chaque culture a ses propres angles morts.


Une position stratégique entre deux mondes moraux

La culture politique nordique s’est aussi formée en opposition à son voisin russe, où l’autorité étatique se mêle étroitement à la religion.
La Scandinavie a choisi l’inverse :

  • institutions horizontales,
  • égalité civique,
  • transparence,
  • culture politique non adossée au sacré.

À l’autre extrémité, l’Europe occidentale offrait l’exemple d’une histoire longue de conflits moraux et religieux.
Les pays nordiques se sont forgé une sorte d’immunité silencieuse aux excès idéologiques.


Ce que beaucoup oublient lorsqu’ils regardent vers le Nord

Quand d’autres pays admirent la Scandinavie, ils tentent souvent d’importer les mécanismes visibles :
la flexibilité du marché du travail, le soutien social, la confiance institutionnelle.

Mais ils passent à côté du fondement indispensable :
une culture civique qui traite les adultes comme des adultes et ne moralise personne.

L’expérience nordique montre qu’une société peut être éthique sans religion,
stable sans dogme,
unie sans récits de pureté ou de culpabilité.

Elle propose quelque chose de simple, mais puissant :

une laïcité centrée sur des citoyens responsables, agissant dans le cadre de la loi — rien de plus, rien de moins.

mercredi 5 novembre 2025

La dérive laveyenne – lorsque la clarté devient hérésie

Chaque époque invente son hérésie.

Dans les années 50, il suffisait de lire Brecht ou d’écouter trop de jazz pour être communiste.
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Aujourd’hui, il suffit de penser trop librement, ou de refuser la mascarade managériale, pour devenir négatif, inadapté, voire dangereux pour la cohésion.

La structure, elle, n’a pas changé : ce qu’on ne comprend pas, on le diabolise ; ce qu’on ne peut pas contrôler, on le bannit.

Le Satanisme, dans son essence, célébrait la lucidité et la souveraineté de l’individu.
Mais lorsqu’un pouvoir s’en empare, il en inverse la polarité.

La responsabilité personnelle devient culpabilité programmée.
La lucidité devient cynisme institutionnel.
Et la force, jadis conçue comme autonomie morale, devient outil d’exclusion.

On érige alors des autels à la discipline, au réalisme, à l’exemplarité.

La hiérarchie d'entreprise parle de vérité, mais pratique le rituel de la conformité.
On ne brûle plus les dissidents : on les réévalue, on les recadre, on les isole.
La violence n’a plus besoin de chaînes ; elle agit par e-mail, procédure et silence.

Le Satanisme, lui, reste ailleurs : dans le regard qui ne détourne pas, dans la parole qui nomme sans trembler.
Il ne s’agit pas de se rebeller pour le geste, mais de refuser le mensonge sacralisé.

L’individu lucide ne détruit pas le système : il le rend visible — et, ce faisant, le vide de sa substance.

Ainsi se referme le cercle : des procès politiques des années 50 aux procédures disciplinaires d’aujourd’hui, c’est la même peur du désordre intérieur qui gouverne.
On change le vocabulaire, pas la logique.

Et les nouveaux inquisiteurs se disent modernes parce qu’ils utilisent des tableurs.

La liberté ne s’use que lorsqu’on s’en sert mal.
Ce n’est pas la lucidité qui dérange — c’est ce qu’elle éclaire.

PS : On pourra lire ce texte comme une réflexion philosophique — ou comme une mise en cause identitaire.
Ni l’un ni l’autre n’est faux, mais l’enjeu est ailleurs : observer comment des idéaux conçus pour libérer la conscience peuvent, entre certaines mains, devenir des instruments de contrôle.

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Arashi Wanderer Ryō 
(Hōrō-Sha)

Je suis membre actif de la Church of Satan. Mes propos n'engagent que moi : je ne parle pas au nom de l'organisation.