On l’appelait Sir Horatio.
Le titre n’était ni un caprice ni une blague : il s’était imposé de lui-même.
Sir Horatio n’avait rien d’ostentatoire. Il était simplement… exact.
Il vivait dans un grand aquarium clair, posé comme une fenêtre ouverte sur un autre monde.
Huit bras, huit intelligences locales, aucune voix dominante.
Quand quelque chose l’intriguait, il observait.
Quand quelque chose l’agaçait, il changeait de couleur.
Quand quelque chose l’ennuyait, il attendait.
Un jour, la porte s’ouvrit autrement.
Madame Stitch entra.
Teckel de vieille lignée, basse mais droite,
chien de chasse devenu chien de palais,
elle avançait sans bruit inutile, museau près du sol, regard net.
Elle s’arrêta devant la vitre.
Pas d’aboiement.
Pas de défi.
Juste une attention pleine.
Sir Horatio la vit aussitôt.
Chez lui, il n’y avait ni face à face ni angle mort.
Il était déjà là où il fallait pour la voir.
Ils se regardèrent.
Madame Stitch ne pensa pas : étrange.
Elle pensa : calme.
Sir Horatio ne pensa pas : chien.
Il pensa : présence solide.
Alors Sir Horatio ajusta doucement sa couleur
-ni vive, ni terne-
le langage discret de ceux qui n’ont rien à prouver.
Madame Stitch répondit à sa manière :
elle s’assit.
Ils comprirent que ce n’était pas une visite.
Ils allaient cohabiter.
Les premiers jours furent silencieux.
Chacun observait le rythme de l’autre.
Madame Stitch apprit que Sir Horatio n’aimait pas être surpris.
Sir Horatio comprit que Madame Stitch n’aimait pas être pressée.
Ils établirent leurs règles sans parole :
pas d’intrusion,
pas de gestes inutiles,
chacun garde son territoire,
personne ne revendique le centre.
Il y eut quelques ajustements.
Un jet d’eau un peu vif.
Un éternuement trop près de la vitre.
Mais jamais de tension durable.
Car quelque chose les reliait plus profondément qu’ils ne l’auraient cru.
Ils étaient tous deux des chasseurs.
Madame Stitch descendait sans peur dans les terriers étroits,
affrontant ce qui se cache dans l’ombre,
là où le courage n’est ni spectaculaire ni bruyant.
Sir Horatio chassait dans les courants ouverts,
dans les labyrinthes mouvants,
là où il faut penser avec tout son corps à la fois.
Deux mondes.
Deux techniques.
Une même qualité : le sang-froid.
Ni l’un ni l’autre ne craignait le danger.
Ils savaient simplement qu’on ne l’aborde jamais de front.
On s’y ajuste.
Avec le temps, quelque chose changea.
Madame Stitch prit l’habitude de s’allonger toujours au même endroit, face à l’aquarium.
Sir Horatio, souvent, venait s’y poster aussi, ventouses posées, regard paisible.
Ils ne jouaient pas.
Ils ne surveillaient pas.
Ils partageaient.
Un jour, Sir Horatio projeta un léger jet d’eau contre la vitre.
Pas par défi.
Pas par jeu.
Juste pour dire : je suis là.
Madame Stitch remua lentement la queue.
C’était fait.
Ils avaient accepté que :
la différence n’implique pas la rivalité,
la noblesse n’a pas besoin de hauteur,
et que deux chasseurs sans peur peuvent vivre côte à côte sans jamais s’affronter.
Dans cette pièce tranquille,
un poulpe et un teckel vivaient désormais ensemble,
sans hiérarchie,
sans méfiance,
dans une paix fondée sur la reconnaissance mutuelle.
Et s’il fallait résumer leur secret, ce serait celui-ci :
La peur n’est pas l’absence de danger.
C’est l’absence de maîtrise.
Or Sir Horatio et Madame Stitch,
chacun à leur manière,
maîtrisaient leur monde.
Et cela suffisait.
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